Proposition de loi relative à
l'exploitation numérique
des livres indisponibles du Xxème siècle
Hervé Gaymard
a déposé le 24 octobre dernier un projet de loi relative à l'exploitation des
œuvres indisponibles.
L'objectif de cette loi étant de rendre à nouveau
disponibles des œuvres qui ne sont plus aujourd'hui dans le commerce.
Qu'est-ce
qu'une œuvre indisponible?
Ce
projet de loi concerne les œuvres publiées en France sous forme de livre au cours
du XX ème siècle avant le 31 décembre 2000.
Il vise principalement les œuvres qui ne sont plus
commercialisées dans un format papier ou numérique mais
dont le contrat d'édition n'a pas été
résilié à la demande de l'auteur pour
défaut d'exploitation permanente et suivie. Parmi ces
œuvres encore sous contrat se trouvent, bien évidemment,
des œuvres pour lesquelles l'éditeur ne détient pas
les droits d'exploitation numériques.
Enfin, les œuvres indisponibles concernent
aussi les œuvres dont les droits ont été récupérés par l'auteur et qui ne sont
plus exploitées faute d'éditeur ou encore les œuvres orphelines, inexploitées
faute d'ayant-droits.
Première étape - Établissement d'une base
de données et droit d'opposition : accepter ou non le principe de la gestion collective.
Pour
être considérées comme "indisponibles" les œuvres doivent être inscrites dans
une base de données.
Cette base de données est établie par une Société
de Perception et de Répartition des Droits (SPRD), société où seront représentés
paritairement auteurs et éditeurs.
L'auteur de l'œuvre ou l'éditeur titulaire
des droits pour une exploitation de cette œuvre sous forme de livre dispose d'un
délai de 6 mois suivant l'inscription de l'œuvre dans la base de données
de la SPRD pour s'opposer à l'exercice de ces droits de reproduction et de représentation
numériques.
On retrouve ainsi par ce procédé les méthodes "Google" de
"opt out" tant décriées. L'autorisation préalable n'est pas demandée aux ayant-droits.
C'est à eux de s'opposer à ce mode d'exploitation.
Par son silence, la
loi ne semble imposer aucune restriction ni justification à l'auteur qui souhaiterait
s'opposer à l'exploitation de son œuvre par la SPRD. Mais elle n'envisage pas
non plus que la SPRD informe l'auteur de l'inscription de ses œuvres
à cette base.
L'éditeur qui s'est opposé devra, lui, justifier d'une exploitation
de l'œuvre sous forme papier ou numérique dans un délai de deux ans.
La loi n'exige pas une concertation entre auteur et éditeur. Mais que
se passera-t-il alors en cas de conflit entre un auteur qui s'opposerait et un
éditeur d'une même œuvre qui accepterait son inscription?
Passé ce délai de six mois, les droits de reproduction
dans un format numérique et de représentation sur un
réseau de communication public en ligne des œuvres dites
"indisponibles" inscrites sont gérées collectivement par
la même société de perception et de
répartition des droits (SPRD).
Cette loi ne concerne pas l'exploitation de l'ouvrage
sous forme imprimée, et donc l'impression à la demande.
Deuxième
étape - Exploitation de l'œuvre : droit de préférence de l'éditeur et droit d'opposition
de l'auteur.
Une fois l'œuvre inscrite, si aucun
droit d'opposition n'a été exercé, l'exploitation est proposée à l'éditeur initial
par la société de gestion collective.
C'est le droit de préférence de
l'éditeur initial.
Celui-ci a alors deux mois pour répondre :
Si
sa réponse est positive, la SPRD l'autorise à exploiter à titre exclusif l'œuvre
sous forme numérique pour une durée de 10 ans tacitement renouvelable,
que l'éditeur bénéficie ou non d'une cession des droits numériques dans le contrat
d'édition qu'il a signé avec l'auteur.
Ainsi, non seulement l'éditeur
bénéficie d'un droit de préférence mais la loi lui épargne la négociation des
droits numériques auprès de l'auteur.
Il les acquiert automatiquement,
et ce pour une durée qui pourra s'étendre, par renouvellement successif, jusqu'à
celle de la propriété littéraire et artistique, sans que l'auteur
ne puisse l'en empêcher,
sauf si celui-ci apporte la preuve par tout moyen de la fin de son contrat d'édition
C'est
le deuxième droit d'opposition dont dispose l'auteur.
Mais ce qu'on nomme
dans ce projet de loi comme étant un droit d'opposition de l'auteur est en fait
le droit d'empêcher la renaissance et la remise en œuvre d'un contrat qui a pris
fin.
L'éditeur initial doit exploiter l'œuvre dans les trois ans
qui suivent la notification et apporter la preuve de l'exploitation effective
de l'œuvre sous forme numérique ou imprimée.
Troisième étape
- L'exploitation par un tiers
Si l'éditeur initial
ne répondait pas à la proposition de la SPRD (et on se demande pourquoi il ne
le ferait pas) ou s'il n'exploite pas l'œuvre dans les trois ans qui lui sont
impartis, alors seulement la SPRD pourra proposer l'exploitation non exclusive
à un tiers pour une durée de 5 ans.
C'est la SPRD qui fixe alors
les conditions de rémunération.
Un droit de sortie :
Le
projet de l'article L.134-6 vient compliquer encore les choses : La loi
prévoit en effet qu'auteur et éditeur initial peuvent conjointement décider d'exploiter
l'œuvre qui ne serait plus alors qualifiée d'œuvre disponible. L'éditeur disposerait
alors de 18 mois pour effectuer cette exploitation.
Conclusion :
La rédaction de cette loi est particulièrement
complexe au point que l'on pourrait penser qu'elle cherche à semer certains de
ses lecteurs ou intéressés.
Elle a été indéniablement rédigée en faveur
de l'éditeur initial alors même que celui-ci a montré pendant plusieurs années
son désintérêt pour une œuvre en abandonnant son exploitation.
Outre l'hétérogénéité
des délais dont dispose l'éditeur pour rendre l'œuvre de nouveau disponible (18
mois, 2 ans et jusqu'à 3 ans selon les cas), on s'étonnera de leur longueur. Le
lecteur pourra attendre selon le cas de figure parfois plus de trois ans avant
que l'œuvre soit de nouveau exploitée.
On notera que la disponibilité
d'une œuvre peut être sous forme numérique ou papier, ce qui aura une influence
sur la définition de l'obligation principale de l'éditeur dans les contrats d'édition
et ce alors même que le législateur n'a pas défini ce qu'était l'exploitation
permanente et suivie d'une œuvre sous forme numérique.
Enfin, rien n'est
encore dit quant à la rémunération qui sera versée aux auteurs par la SPRD. Mais
elle aura sans aucun doute une incidence quant au choix que fera l'auteur d'accepter
ou non le principe de la gestion collective.
Le 11 novembre 2011
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